Il y a quelques jours, les caméras du monde entier étaient tournées vers Washington et la cérémonie d’investiture de Donald Trump. Parmi les nombreuses déclarations du nouveau locataire de la Maison Blanche, plusieurs concernent directement l’Amérique latine comme la réinscription de Cuba sur la liste noire des pays soutenant le terrorisme ou la volonté de récupérer le contrôle du canal de Panama. 3 de nos partenaires ou alliés latinoaméricains ont accepté de partager leur point de vue sur le retour de Trump à la tête des Etats-Unis et sur les conséquences que pourrait avoir ce retour dans leurs pays respectifs.
Au Mexique : militarisation aux frontières et violations des droits des personnes migrantes
Dès son investiture, Donald Trump s’est lancé dans une offensive contre l’immigration. Parmi les 78 décrets qu’il a signés à peine la cérémonie terminée figurent la remise en cause du droit du sol et la déclaration de l’état d’urgence à la frontière avec le Mexique.
Pour Griselda Pineda de Voces Mesoamericanas, partenaire du CCFD-Terre Solidaire depuis 2023, cette politique risque d’entraîner une militarisation accrue des frontières mexicaines :
“Je pense qu’il y aura sûrement beaucoup plus de déploiement de la garde nationale, c’est-à-dire qu’ils vont militariser ou renforcer encore plus le déploiement des forces armées, en particulier à Tapachula [une ville située à côté de la frontière avec le Guatemala]. En 2018, lorsque la première caravane de migrants est entrée, la militarisation était déjà très visible, et maintenant elle va l’être encore plus.”
Le jour même de l’investiture de Donald Trump, l’application CBP One qui permettait aux demandeurs d’asile de prendre rendez-vous a cessé de fonctionner. Un bien mauvais signe pour toutes les personnes qui espéraient trouver refuge aux Etats-Unis.
Griselda conclut : “Si aujourd’hui les personnes migrantes empruntent des itinéraires dangereux, ce durcissement des politiques migratoires va les conduire à traverser ou à transiter par des itinéraires encore plus dangereux, à être d’autant plus exposées au crime organisé et à être victimes de beaucoup plus de crimes et de violations des droits humains.”
Au Paraguay : la société civile en danger
Le Paraguay est un pays de 7 millions d’habitants, souvent mal connu en Europe du fait de sa situation géographique, coincé entre des voisins imposants, le Brésil et l’Argentine.
En 1989, le Paraguay sort d’une dictature de 35 ans. Pourtant, mise à part une parenthèse de 4 ans (2008-2012), le parti issu de la dictature reste au pouvoir : le Parti colorado. Ce parti ultraconservateur entretient des liens étroits avec les mouvements et figures réactionnaires de différents pays : Orban, Milei, et bien sûr Trump. Le président paraguayen, Santiago Pena, a fait l’éloge des équipes de Trump en parlant d’un “rêve fait réalité” avec notamment la présence du secrétaire d’Etat conservateur, Marco Rubio.
Pour Susana Aldana, dont l’organisation Decidamos est partenaire du CCFD-Terre Solidaire depuis 1989, la réélection de Trump vient conforter la politique réactionnaire du gouvernement. Avec Trump au pouvoir, “les possibilités de changement, de renouveau ou d’une société plus pluraliste, plus tolérante et plus inclusive s’éloignent.” “Les quelques espaces réservés à une éducation sexuelle complète vont donc disparaître, et la question de la lutte contre la violence sexiste va commencer à être remise en cause” ajoute-t-elle.
Il faut dire qu’en l’absence d’une opposition forte, la société civile est en première ligne pour défendre la démocratie et les droits des minorités. Dans le viseur du gouvernement, les ONG subissent déjà des offensives répétées. Un projet de loi prévoit d’intensifier le contrôle de leurs ressources et d’attaquer le droit d’association.
En outre, selon Susana, le retour de Trump à la Maison Blanche et la fin de la modération des réseaux sociaux constituent une menace grave : “Cela va poser d’énormes problèmes au moment des élections” alerte-t-elle. Elle craint la prolifération des fake news dans un pays où les investissements en faveur de la recherche et de l’éducation sont bien insuffisants.
En Argentine : la victoire de l’extractivisme
En Amérique latine, Trump peut également compter sur un soutien de poids : le président argentin Javier Milei, présent au Capitole pour la cérémonie d’investiture.
Pour Hernan Scandizzo de Observatorio Petrolero Sur, un allié du CCFD-Terre Solidaire : “L’investiture de Trump renforce Milei. D’abord pour des raisons pratiques : les États-Unis pourraient ouvrir la voie à une éventuelle renégociation de l’énorme dette de l’Argentine auprès du Fonds monétaire international (FMI). Et d’autre part pour des raisons politiques, puisque Trump et Milei partagent un substrat idéologique commun caractérisé par le négationnisme climatique, les coupes dans tous les domaines (que ce soit dans les travaux publics, la santé, les retraites, l’éducation, etc.), la violence contre les femmes et la diversité, ainsi que la répression et la persécution des mobilisations et des secteurs critiques.”
En ce qui concerne le secteur de l’énergie, la politique du « Drill, baby, drill » défendue par Trump met un violent coup de frein à l’abandon progressif des combustibles fossiles. Pour le gouvernement argentin, c’est l’occasion d’accroître l’exploitation du gisement de “Vaca Muerta” en Patagonie qui abrite l’une des plus grandes réserves mondiales de gaz et de pétrole de schiste du monde, grâce à la fracturation hydraulique.
Pour Hernan, “ce recul est rendu possible par une augmentation de la criminalisation des luttes pour la défense des territoires face aux projets extractivistes. En Argentine en particulier, l’image publique du peuple Mapuche Tehuelche [qui lutte contre le projet pétrolier implanté sur son territoire] a été construite comme un ennemi interne, un processus qui dure depuis plusieurs décennies, mais qui dans ce contexte s’exprime de manière flagrante.”
L’Argentine de Milei ouvre également la voie aux intérêts américains dans le cuivre, le lithium et d’autres matériaux essentiels.
Hernan précise néanmoins que “même si la victoire de Trump permet de nouveaux scénarios extractivistes, il faut noter qu’une victoire démocrate n’aurait pas été un obstacle à l’accès des capitaux américains”, l’administration Biden ne cachant pas son intérêt pour les réserves minières et pétrolières de l’Amérique latine.